Après le chaos de la surproduction de Fallen Empires et le look délavé de Revised, l’année 1995 devait marquer un tournant. Les joueurs, enfin rassasiés en quantité, réclamaient de la qualité et de la cohérence. Ils voulaient un set de base qui ne ressemble pas à une photocopie passée au soleil, un set qui fasse honneur à la richesse du jeu. Ce qu’ils ont eu, c’est un grand coup de balai, une opération de nettoyage radicale qui a redéfini le standard du jeu pour les années à venir. C’est l’histoire de la Fourth Edition (4e édition), l’édition qui a mis de l’ordre dans le bordel initial, quitte à faire quelques choix douloureux et à s’attirer les foudres des puristes.
La grande purge : quand Wizards a dit « Non » aux Dual Lands
Le changement le plus symbolique, et le plus douloureux pour les collectionneurs et les joueurs de l’époque, fut l’éviction des dix fameux Dual Lands (Tundra, Underground Sea, Volcanic Island, etc.). Ces terrains, qui fournissaient deux types de mana sans aucune contrepartie, étaient la colonne vertébrale de tous les decks compétitifs. Leur puissance était telle qu’ils faussaient l’équilibre du jeu. Wizards of the Coast, dans sa quête de standardisation et d’équilibrage, a pris la décision radicale de les retirer du set de base.
Imaginez la scène : vous ouvrez votre booster, vous espérez la carte qui va payer vos vacances, et… pouf ! Fini les Duals. C’était la fin d’une (courte) ère. Cette décision, bien que controversée, a envoyé un signal fort : le jeu allait évoluer vers un environnement plus sain, où la puissance ne serait plus concentrée dans des cartes aussi basiques. C’était un sacrifice nécessaire pour la pérennité du jeu, même si, soyons honnêtes, cela a fait chier plus d’un joueur qui voyait son deck Legacy prendre un coup de vieux.
Mais la purge ne s’est pas arrêtée là. Wizards a également profité de cette rotation pour « désinfecter » le contenu artistique. Fini les illustrations jugées trop controversées ou religieuses. Les cartes représentant la nudité (comme Earthbind) ou des thèmes ouvertement religieux (comme Resurrection) ont été écartées. Même le Pentagramme inversé enflammé sur la carte Unholy Strength a été retouché. C’était l’époque où Magic cherchait à s’imposer comme un produit grand public, et il fallait éviter tout ce qui pouvait effrayer les parents ou les distributeurs.

Le retour de la beauté : physique et mécanique
Si Revised était la version « lavée » de Magic, la Fourth Edition fut la version « repolie ». Les cartes ont retrouvé leur éclat. Le fameux bord biseauté (le beveled edge) qui avait disparu sur Revised est revenu, donnant aux cartes une profondeur et une qualité d’impression bien supérieure. Les couleurs, souvent qualifiées de « passées » sur l’édition précédente, sont devenues plus saturées et vibrantes. C’était un soulagement pour les yeux et un pas de géant pour la qualité perçue du produit.
Mais le changement le plus important, et qui est resté jusqu’à aujourd’hui, est l’introduction du nouveau symbole de « tap ». Fini le « T » tourné à 45 degrés de Revised. La Fourth Edition a introduit la flèche courbée moderne, le symbole universel que nous connaissons tous. Ce n’était pas seulement un changement esthétique ; c’était une standardisation cruciale pour l’internationalisation du jeu, permettant de dépasser les barrières linguistiques pour une mécanique fondamentale.
Un autre changement logistique majeur fut la suppression des terrains de base des boosters. Jusqu’alors, trouver un terrain de base dans un booster était une déception. Avec la 4e Édition, les terrains de base ont été déplacés sur une feuille d’impression dédiée et n’étaient disponibles que dans les Starter Decks. Cela a libéré de l’espace sur les feuilles d’impression des sorts, permettant d’inclure plus de cartes « jouables » dans les boosters. Une petite révolution qui a rendu l’ouverture de boosters bien plus excitante.
Les invités surprise : l’ouverture sur les extensions
L’une des plus grandes forces de la 4e Édition fut son rôle de « best-of » des premières extensions. C’était la première fois qu’un set de base réimprimait des cartes des extensions Legends et The Dark. Pour les joueurs qui n’avaient pas pu mettre la main sur ces sets rares et coûteux, c’était une aubaine. Des cartes cultes comme Strip Mine (un terrain qui détruit un autre terrain, réimprimé d’Antiquities) et Balance (un sort blanc capable de raser le terrain et les mains des joueurs) ont fait leur retour.
L’inclusion de ces cartes a créé un environnement de jeu fascinant. D’un côté, Wizards retirait les Dual Lands pour des raisons d’équilibre ; de l’autre, ils réintroduisaient des cartes comme Strip Mine et Balance, qui sont des bombes absolues capables de gagner des parties à elles seules. C’était la preuve que l’équilibrage était encore un art balbutiant, un mélange de décisions prudentes et de coups de folie. Balance, en particulier, est restée célèbre pour sa capacité à créer des situations de jeu complètement folles, un vrai cauchemar pour les arbitres, mais un délice pour les joueurs experts qui aimaient exploiter ses failles.

Le Core Set du monde : l’expansion globale
La Fourth Edition n’a pas seulement stabilisé le jeu aux États-Unis, elle a été le fer de lance de l’expansion mondiale de Magic. C’était le premier set de base à être imprimé en langues asiatiques, notamment en japonais, en chinois traditionnel et en coréen.
Cette internationalisation a été un moment clé. Magic est passé du statut de jeu de niche américain à celui de phénomène mondial. Les cartes en japonais, avec leurs caractères élégants, sont rapidement devenues des objets de collection prisés. Cette ouverture a non seulement élargi la base de joueurs, mais a aussi enrichi la culture du jeu, en introduisant de nouvelles communautés et de nouveaux styles de jeu. C’était la reconnaissance que le jeu était devenu trop grand pour rester confiné aux frontières occidentales.
En fin de compte, la 4e Édition est bien plus qu’un simple set de base. C’est le set de la maturité, celui qui a fait le tri dans l’héritage chaotique des premières années. Il a coupé les ponts avec les cartes trop puissantes (les Dual Lands) et les thèmes trop sensibles (la censure artistique), tout en ouvrant la porte à l’avenir (le nouveau symbole de tap, l’internationalisation). C’est le set qui a permis à Magic de passer de l’adolescence turbulente à l’âge adulte, en offrant une base solide, propre et compétitive pour les extensions à venir. C’est le set que tout joueur qui a commencé au milieu des années 90 a eu entre les mains, et c’est pour cela qu’il occupe une place si particulière dans le cœur des collectionneurs.
- Sortie officielle : 1 avril 1995
- Cartes : 378 (121 communes, 121 non communes, 121 rares)
- Code d’extension : 4ED
- Répartition : Blanc (58) – Bleu (58) – Noir (58) – Rouge (58) – Vert (58) – Artefacts (70)
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