Si Arabian Nights nous a emmenés dans un conte de fées oriental, la deuxième extension de Magic nous a brutalement ramenés sur Dominaria, au cœur d’une guerre fratricide qui allait définir l’histoire du jeu pour les décennies à venir. Oubliez les Djinns et les tapis volants, ici, on parle de rouages, de métal, de destruction massive et de la naissance d’une tragédie. Le 4 mars 1994, le monde découvrait Antiquities, un set qui n’était pas seulement une collection de cartes, mais une véritable plongée dans les archives d’un conflit titanesque, la fameuse Guerre des Frères. Ce set, c’est le moment où Magic a cessé d’être un simple jeu de cartes pour devenir une saga épique, un univers narratif d’une richesse inouïe. Et, accessoirement, le moment où les artefacts sont quasiment devenus le centre du monde.
La forge de l’innovation : quand les artefacts deviennent rois
L’ADN de cette extension est gravé dans le métal. Sur les 85 cartes uniques (que les collectionneurs montent à 100 en raison des variations d’illustration, on y reviendra), une écrasante majorité est soit un artefact, soit une carte qui interagit directement avec eux. C’était une révolution mécanique. Jusque-là, les artefacts étaient des curiosités, des outils neutres. Avec Antiquities, ils deviennent le cœur de la stratégie, la source de la puissance et le moteur de l’histoire.

C’est dans cette extension que l’on trouve des monstres sacrés qui ont défini des archétypes entiers. On pense bien sûr au Mishra’s Workshop, un terrain légendaire qui produit trois manas incolores pour lancer des artefacts. Un bordel monstre de puissance qui, aujourd’hui, coûte le prix d’une petite voiture d’occasion et est un pilier incontournable du format Vintage. On y trouve aussi le triptyque infernal : Urza’s Mine, Urza’s Power Plant et Urza’s Tower, affectueusement surnommé l’Urzatron. Ces trois terrains, lorsqu’ils sont réunis sur le champ de bataille, produisent une quantité de mana absolument obscène. L’idée de la synergie entre terrains était née, et elle allait engendrer des decks capables de déployer des menaces colossales dès les premiers tours.
Mais l’innovation ne s’arrête pas là. Des cartes comme le Millstone, qui a donné son nom au mécanisme de « milling » (mettre des cartes de la bibliothèque au cimetière), ou le Triskelion, une créature-artefact capable de distribuer des blessures à distance, ont prouvé que les artefacts pouvaient être bien plus que de simples babioles. Ils étaient l’avenir, le terrain de jeu d’une nouvelle génération de designers.
Une histoire écrite en acier et en sang
Contrairement à son prédécesseur, qui s’inspirait d’une œuvre existante, cette extension a créé sa propre mythologie. Elle raconte l’histoire d’Urza et de Mishra, deux frères artificiers qui découvrent les pierres de pouvoir, la Mightstone et la Weakstone, dans les Cavernes de Koilos. Cette découverte, loin d’être une bénédiction, déchaîne une rivalité qui va dégénérer en une guerre totale, la Guerre des Frères, qui ravagera le continent de Terisiare sur Dominaria.
Le set est un véritable livre d’histoire. Chaque carte est un fragment de ce conflit. Le Strip Mine représente la dévastation des terres par les machines de guerre. Le Candelabra of Tawnos est un clin d’œil à l’apprenti d’Urza. Le Gate to Phyrexia est une allusion subtile à l’influence maléfique qui se cache derrière Mishra. Pour la première fois, les cartes ne sont pas de simples outils de jeu, elles sont des reliques, des témoignages d’un passé douloureux. C’est ce niveau d’immersion narrative qui a fait basculer Magic dans une autre dimension. Les joueurs ne jouaient plus avec des cartes, ils rejouaient l’histoire.
Le cauchemar du collectionneur : rareté et collection
Si l’aspect mécanique et narratif de cette extension est une réussite, sa production fut un véritable fiasco, un bordel qui a fait le bonheur (et le malheur) des collectionneurs. Avec un tirage de seulement 15 millions de cartes, la rareté était garantie. Mais le vrai problème, c’était la collection. Les boosters de huit cartes étaient loin d’être aléatoires, et il fallait acheter plusieurs boîtes pour espérer compléter le set de 100 cartes.

Face à la grogne des joueurs, Wizards of the Coast a même dû mettre en place un programme de rachat, le Antiquities Buy-Back program, permettant aux joueurs de renvoyer leurs cartes en trop contre de l’argent. Imaginez le tollé ! Mais le plus fascinant pour les collectionneurs, ce sont les variations d’illustration. Les terrains non-base comme le Strip Mine ou la Mishra’s Factory existent en quatre versions d’art différentes, représentant les quatre saisons ou les différents états du terrain. C’était la première fois que Magic utilisait cette astuce pour gonfler le nombre de cartes à collectionner, une pratique qui est devenue une marque de fabrique. Pour les vieux de la vieille, posséder les quatre versions de la Mishra’s Factory est un signe de dévotion.
L’héritage de l’enclume
Le symbole de cette extension est une enclume, et il est on ne peut plus approprié. Antiquities a servi de forge pour de nombreux concepts qui sont devenus des piliers du jeu. C’est le set qui a prouvé que les extensions pouvaient avoir un thème mécanique fort et une histoire profonde, jetant les bases de ce qui deviendrait plus tard le concept de « bloc ».
Le set a également été conçu par une équipe de développement externe, un groupe d’étudiants de l’Université de Pennsylvanie, ce qui est une anecdote délicieuse pour les passionnés. L’absence de Richard Garfield à la conception principale a permis à de nouvelles idées d’émerger, prouvant que le jeu était plus grand que son créateur.

Aujourd’hui, les cartes d’Antiquities sont des trésors. Elles racontent l’histoire d’une époque où Magic était encore en train de se chercher, où chaque set était une expérimentation audacieuse. Elles sont la preuve que même le chaos de la production et les erreurs de jeunesse peuvent engendrer des légendes. Et c’est pour ça qu’on les aime, ces vieilles reliques. Elles ont le charme brut et la puissance des débuts.
- Sortie officielle : 4 mars 1994
- Cartes : 85 (28 communes, 37 non communes, 20 rares)
- Code d’extension : ATQ
- Répartition : Blanc (7) – Bleu (7) – Noir (7) – Rouge (7) – Vert (7) – Artefacts (44)
Continuez le déroulé de l’histoire Magic avec l’article suivant :

