Si vous avez commencé Magic The Gathering à l’époque où les cartes étaient encore en noir et blanc, vous avez forcément un souvenir ému. Ou plutôt un souvenir contrarié, de l’ouverture d’un booster de l’extension Terres Natales. C’est l’histoire d’un set qui, pour beaucoup, est synonyme de déception, d’un creux de vague mécanique qui a failli faire dérailler le train du succès. Pourtant, il y a un charme étrange, presque masochiste, à se remémorer cette période. Car si, sur le plan de la puissance, ce set est souvent cité comme le pire de l’histoire du jeu, il a paradoxalement laissé un héritage narratif et quelques pépites qui en font aujourd’hui un objet de culte pour les collectionneurs avertis.
Naissance de Terres Natales
Nous sommes en octobre 1995. Le jeu est en pleine explosion. Après le chaos de la surimpression de Fallen Empires et la crise de confiance engendrée par Chronicles, les joueurs attendaient un nouveau souffle, une extension qui allait redéfinir le méta-jeu. L’attente était d’autant plus forte que Ice Age venait d’introduire le concept de « bloc », promettant une cohérence narrative et mécanique. Terre Natales (Homelands, de son nom original) était censé être la deuxième partie de ce bloc. Le problème, c’est que le set a été conçu dans des conditions pour le moins… bordéliques. C’est le moins que l’on puisse dire.
L’histoire, souvent racontée par Mark Rosewater (designer en chef) lui-même, veut que l’extension ait été conçue par des amis du PDG de Wizards of the Coast, Peter Adkison. Sans passer par les processus rigoureux de R&D (Recherche et Développement). Le résultat fut un set d’une faiblesse abyssale, sans nouvelle mécanique, et dont la seule innovation notable était de continuer à utiliser le mot-clé Cantrip et les créatures légendaires unicolores introduites dans Ice Age. Imaginez l’excitation de l’époque : vous ouvrez votre booster, vous sentez l’odeur du carton neuf, et vous tombez sur un Aysen Bureaucrats (Bureaucrates ayséniens) ou un Giant Oyster (Huître géante). La déception était palpable, le sentiment d’avoir été floué par un set qui n’avait pas sa place dans la lignée des Legends ou Antiquities.

Ulgrotha : le seul vrai trésor
Si le jeu était faible, l’univers, lui, était d’une richesse et d’une noirceur fascinantes. L’extension nous emmène sur le plan d’Ulgrotha, un monde isolé et déclinant, coupé du reste du Multivers par le Feroz’s Ban, une barrière magique érigée par le Planeswalker Feroz et sa compagne Serra. L’histoire est celle d’un monde post-apocalyptique, où les civilisations s’affrontent dans l’ombre du puissant Baron Sengir, un vampire machiavélique qui complote pour prendre le contrôle du plan.
C’est là que réside la véritable valeur de Terres Natales : son ambiance. Les cartes, bien que faibles, racontent une histoire cohérente et sombre. On y découvre les intrigues de la famille vampire Sengir (Baron, Irini, la grand mère), les efforts désespérés des peuples d’Aysen et de l’Ordre de la Main d’Ébên, et la présence mystérieuse de Saule l’Automne, une entité protectrice. Le set est un petit roman gothique, une parenthèse narrative unique dans l’histoire de Magic, loin des conflits épiques de Dominaria.
Pour le collectionneur, cette richesse narrative est un argument de poids. Les cartes de cette édition ne sont pas des outils de jeu optimaux, mais des fragments d’un lore culte. Elles sont les témoins d’une époque où Wizards a permis à l’histoire de dicter le design, même si cela a conduit à un désastre mécanique. C’est le set que l’on garde pour le plaisir de l’ambiance, pour les illustrations sombres et les textes d’ambiance qui racontent la chute d’un monde. Et c’est déjà pas mal.
Les perles rares du désert mécanique
Malgré sa réputation de set faible, Terres Natales a réussi à glisser quelques cartes qui sont devenues des incontournables, prouvant que même dans le pire set, il y a toujours des pépites. Ces cartes sont la raison pour laquelle les collectionneurs ne peuvent pas se permettre d’ignorer complètement cette extension.
- Merchant Scroll (Parchemin de marchand) : cette carte bleue, qui permet de chercher un éphémère bleu dans sa bibliothèque, est devenue un pilier des formats éternels comme Vintage et Legacy. Si puissante qu’elle est restreinte dans certains formats, car elle permet d’accéder à des cartes comme Ancestral Recall ou Force of Will. Ironiquement, l’une des cartes les plus compétitives de l’histoire de Magic provient de son set le plus faible.
- Serrated Arrows (Flèches barbelées) : un artefact qui permet de distribuer des marqueurs -1/-1 sur les créatures adverses. Simple, efficace, et un excellent outil de contrôle qui a été réimprimé de nombreuses fois. Il a prouvé que même un set sans nouvelle mécanique pouvait introduire des cartes au design intemporel.
- Baron Sengir : la carte légendaire emblématique du set. Bien qu’il ne soit pas une bête de tournoi aujourd’hui, il est le premier « Lord » des vampires et reste une figure centrale du lore. Sa simple présence sur le champ de bataille est un clin d’œil à l’histoire du jeu.
Ces cartes, et quelques autres comme Memory Lapse (un contresort de temporisation) ou Autumn Willow (une créature légendaire difficile à cibler), sont les exceptions qui confirment la règle. Elles sont la preuve que le set n’était pas un échec total, mais plutôt un set déséquilibré, où la rareté ne correspondait pas à la puissance.

L’héritage d’une erreur
L’histoire de Terres Natales est celle d’une leçon apprise à la dure par Wizards of the Coast. L’échec commercial et critique de cette extension a renforcé la nécessité d’un processus de design et de développement plus rigoureux. Il a également mis en lumière (encore une fois) le danger de la surproduction, car les boosters de cette édition sont restés disponibles pendant des années, souvent bradés, ce qui a renforcé l’image de set « sans valeur ».
Aujourd’hui, l’extension est un marqueur de l’âge d’or du jeu, une période où les règles n’étaient pas encore gravées dans le marbre et où l’expérimentation, même ratée, était monnaie courante. Pour le collectionneur, posséder des cartes de Terres Natales est un signe de connaissance profonde de l’histoire de Magic, une reconnaissance du fait que le jeu est plus que la somme de ses cartes les plus puissantes. C’est un set qui nous rappelle que même les erreurs peuvent devenir des légendes, et que la passion des joueurs est plus forte que n’importe quel déséquilibre mécanique. C’est un set qui, malgré tout, fait partie de notre ADN de joueur. Pour le meilleur et pour le pire.
- Sortie officielle : 14 octobre 1995
- Cartes : 140 dont 25 rééditions (75 communes, 114 non communes, 121 rares)
- Code d’extension : HML
- Répartition : Blanc (25) – Bleu (25) – Noir (25) – Rouge (25) – Vert (25) – Artefacts (10)
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