Chronicles : Le set qui a créé la Reserved List et le marché moderne

Magic Chronicles

Si vous avez commencé Magic dans les années 90, vous avez forcément entendu parler de la « crise des réimpressions ». C’est un moment charnière, un véritable trauma pour la communauté des collectionneurs, et son épicentre porte un nom : Chronicles. Ce n’était pas une extension à proprement parler, mais plutôt un best-of des quatre premiers sets d’extension – Arabian Nights, Antiquities, Legends et The Dark – sorti en juillet 1995. Un geste commercial qui, à l’époque, a fait l’effet d’une bombe atomique sur la valeur de nos précieux cartons.

Imaginez le contexte. Les premiers sets étaient sous-imprimés, la demande explosait, et les prix s’envolaient. Posséder un Erhnam Djinn ou un City of Brass relevait de l’exploit ou du sacrifice financier. Wizards of the Coast, voyant l’engouement et surtout l’inaccessibilité de ces cartes pour les nouveaux joueurs, a décidé de faire ce que toute entreprise sensée ferait : réimprimer. Mais ils l’ont fait avec une telle générosité que le marché secondaire a pris un coup de massue dont il se souvient encore.

Valeur perçue en berne

Le concept était simple : prendre les cartes les plus cool et les plus jouables des quatre extensions susmentionnées, les imprimer en masse, et les mettre à disposition avec les fameuses bordures blanches, signalant une réimpression selon la politique de l’époque. Le tirage fut colossal, estimé à environ 180 millions de cartes. C’était une bénédiction pour le joueur occasionnel, qui pouvait enfin mettre la main sur des cartes emblématiques comme les Dragons Anciens (Elder Dragon Legends) ou le City of Brass. Mais pour le collectionneur qui avait mis toutes ses économies dans un The Abyss ou un Moat de l’extension Legends, c’était la douche froide.

Le problème n’était pas tant la réimpression en elle-même, mais l’impact direct sur la valeur perçue. Du jour au lendemain, des cartes rares et chères sont devenues communes, ou du moins, beaucoup plus accessibles. La confiance dans la rareté et la valeur future des cartes s’est effondrée. C’est le genre de situation où l’on se dit : « Bordel, si ça se trouve, mon Black Lotus vaudra le prix d’un jeton de caddie l’année prochaine ! »

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La genèse de la liste maudite

Cette panique a engendré une réaction violente de la part des revendeurs et des collectionneurs fortunés. Ils ont mis une pression monstre sur Wizards of the Coast, arguant que l’entreprise détruisait l’investissement de ses clients les plus fidèles. C’est de cette crise qu’est née la décision la plus controversée de l’histoire de Magic : la Reserved List.

La Reserved List est, en substance, une promesse solennelle de Wizards de ne jamais réimprimer certaines cartes. C’était un pacte avec le diable, destiné à rassurer les investisseurs et à stabiliser le marché. Le message était clair : « On a fait une connerie avec Chronicles, on ne la refera plus. Ces cartes-là, on vous garantit qu’elles resteront rares. » Ironiquement, c’est ce set de réimpression qui a sanctuarisé la rareté des cartes les plus chères du jeu, créant une dichotomie nette entre les cartes « protégées » et les autres.

Il est fascinant de noter la sélection des cartes pour cette édition. Wizards a délibérément écarté les cartes les plus abusées et les plus chères des sets originaux, celles qui causaient des problèmes d’équilibrage ou qui étaient trop puissantes en tournoi. On parle ici de l’absence de cartes comme Mana Drain, The Abyss, Nether Void, Moat ou le Maze of Ith. L’objectif était de rendre le jeu plus accessible sans pour autant injecter des bombes de puissance dans le format Standard de l’époque (qui incluait la Quatrième Édition).

Un set de transition et d’innovation discrète

Malgré le chaos économique qu’il a provoqué, ce set de compilation a eu des effets bénéfiques sur le jeu lui-même. Il a permis à une nouvelle vague de joueurs de découvrir des cartes emblématiques et de comprendre l’histoire de Magic. De plus, il a servi de banc d’essai pour la standardisation du templating (la formulation des règles sur la carte).

Les cartes de cette édition ont été mises à jour pour refléter les règles de l’époque. Par exemple, le Cyclone d’Arabian Nights demandait de placer des « chips » (jetons) sur la carte, tandis que la version de Chronicles utilisait le terme standardisé de « counters » (marqueurs). Ces ajustements, bien que subtils, ont contribué à rendre le jeu plus cohérent et moins sujet à l’interprétation.

Le set a également mis en lumière des cartes qui, bien que non révolutionnaires, sont devenues des classiques du jeu. Les fameux terrains d’Urza (Urza’s Mine, Urza’s Power Plant, Urza’s Tower), l’Urzatron, sont revenus en force, offrant une rampe de mana colossale aux joueurs. Les Elder Dragon Legends (Nicol Bolas, Vaevictis Asmadi, etc.) ont trouvé une nouvelle vie, et leur popularité a sans doute jeté les bases de ce qui allait devenir le format Commander (EDH), où les créatures légendaires sont centrales.

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L’héritage paradoxal

Aujourd’hui, regarder Chronicles c’est contempler un paradoxe. C’est le set qui a failli tuer la collectionnite en inondant le marché, mais c’est aussi celui qui a sauvé le jeu en le rendant accessible. C’est le set qui a forcé Wizards à faire une promesse éternelle (la Reserved List), une promesse qui continue de hanter la communauté et de faire flamber les prix des cartes les plus anciennes.

Sans l’existence de cette édition, le marché aurait continué sa course folle, rendant le jeu élitiste et probablement moins durable. Le coup de frein brutal qu’il a imposé a permis une réinitialisation, une prise de conscience que l’équilibre entre la rareté pour les collectionneurs et l’accessibilité pour les joueurs est un fil ténu.

Alors, la prochaine fois que vous verrez une carte à bordure blanche, rappelez-vous que derrière cette esthétique décriée se cache une histoire de chaos, de panique boursière et de promesses non tenues (pour les réimpressions, pas pour la Reserved List, celle-là, elle tient bon jusqu’ici). Ce set n’est pas juste une compilation ; c’est un monument historique, le marqueur d’une époque où Wizards of the Coast apprenait, à ses dépens, à gérer le succès monstrueux de son jeu.

Conclusion

C’est l’ADN même du marché secondaire moderne, avec ses spéculateurs, ses collectionneurs puristes et ses joueurs affamés de cartes puissantes. Un set qui, malgré ses défauts et sa réputation de « tueur de valeur », reste une pièce essentielle du puzzle Magic. Une chronique de l’âge d’or. Il a marqué la fin d’une ère et le début d’une autre, celle où la rareté n’était plus un accident, mais une politique. Les cartes de cette édition sont un témoignage de cette transition. L’impact en est indéniable, elle a été un tournant.

  • Sortie officielle : 1 juillet 1995
  • Cartes : 116 (40 communes, 30 non communes, 46 rares)
  • Code d’extension : CHR
  • Répartition : Blanc (14) – Bleu (14) – Noir (14) – Rouge (14) – Vert (14) – Multicouleurs (20) – Artefacts (21)

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par Arkan

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